dimanche 13 septembre 2009

Quatrième jour, trainer dans Rue

Lundi 3 août
Frot, Frot, on tape à la porte en toile de mon abri.
« y a quéqu’un là d’dans ? »
C’est le patron du camping. Il me dit qu’il m’attend dans son bureau, accolé aux chiottes, pour que je le paye, rapidement, il a plein d’autres choses à faire. Tain mais il est quelle heure ?
Je sors habillé comme en plein jour, tellement j’ai eu froid dans la nuit.
Il fait beau, le Soleil a déjà séché la rosée. Chaussures au pied, desserrées pour laisser souffler les chevilles, je boite tout autour des sanitaires. Le mec, le boss, a une gueule tirée, on dirait Vincent Lyndon, en gros et torse nu, comme tout le monde ici. Il s’exprime de la même manière que ses autres clients, un mec du coin, quoi.
Je fais tâche.
La tête dans le cul, je le laisse faire ses calculs.
J’ai pris des tickets pour deux nuits, vu que je ne sais toujours pas, avec certitude, si Mebeh arrive aujourd’hui ou non. Alors, avec le prix TTC que j’avais pas lu, plus une taxe d’habitation (??), plus deux douches chaudes parce que « j’connais personne qui prend pas de douche dans la journée, ou alors c’est qu’i fait rien d’lô journée », on arrive à un total de 9euros40. J’pensais payer le tiers.
Je règle et retourne au pieu, il est 8h, j’ai rien à bouffer et les magasins n’ouvrent pas avant 9h, m’a dit l’arnaqueur.
La suite de ma matinée se résume ainsi : écouter les messages nocturnes de Mebeh qui arrive à 12h05 ( il est très fatigué, parfait ), envoyer une lettre au Japon, acheter des croissants pour le café, du pain pour le midi, me procurer les horaires de bus pour Le Crotoy, et les horaires du train à vapeur qu’on y trouvera. Missions accomplies d’un pas chancelant, je continue mon repos au milieu des gosses. Une journée banale, au fin fond de la Somme, ça me va.
Midi, je me traîne à la gare de Rue. On est dix à se partager l’ombre sur le quai. Dix, et c’est vers moi que se dirige un drôle de mec. Du bout de son look, il me décoche un « hello ! ». Je sens que c’est parti. Il est petit, ridé, cheveux long, il porte un chapeau de cowboy, un immense sac à dos et une tente automatique sous le bras.
Le temps que le train arrive, il m’a tout raconté avec son accent.
Résumé : canadien, 61 ans, guide touristique de métier, en vacances en France, il se rendait en Angleterre mais s’est fait agresser à coups de batte de baseball par des skinheads à Boulogne (Pas-de-Calais). Il attendait un train, une femme aussi, ils se sont tous les deux fait tabasser sur le quai. Il me conseille d’éviter cette ville, où ils sont tous fous.
Il s’est fait casser les dents du bas, et s’est tout fait voler. Jusqu’à la prothèse de son pouce (il me gigote le doigt manquant). Il a été admis à l’hôpital durant 4 jours puis s’est fait mettre dehors avec sa tente Quetchua. L’ambassade le dédommage dans une semaine, en attendant, il n’a pas un rond, rien à manger. Il me raconte une blague de bûcheron à propos de ma barbe, comme quoi on peut en faire des brosses à caniche qui se vendrait 25$ pièce. Il me raconte qu’il joue de la guitare, du blues. J’hésite à lui proposer de se joindre à nous, mais je me vois mal entretenir un sexagénaire au camping des peupliers.
Puis son discours suinte le mensonge. Ses dents du bas ont l’air d’avoir disparu depuis longtemps, et pour d’autres raisons. Et puis il n’a pas une marque de coup, c’était une batte chirurgicale.
Il a besoin de 5 euros pour prendre un train après celui qu’il attend. Moi, j’ai besoin de ma thune pour le voyage. Je lui propose un bout de pain alors que son train ralenti en gare, « je ne pourrai jamais le manger », mais il le prend quand même.
Il monte dans un wagon.

Mebeh sort d’un autre, avec la même tente en bandoulière.
Un sac à dos bleu, une guitare, dans sa housse, au bras, vêtu d’une chemise, d’un pantalon et d’un chapeau, on se rejoint en plein cagnard, il est vacances depuis deux jours, et bien décidé à profiter du voyage. Mais sur l’instant, on a la dalle. On part à la recherche d’un coin d’ombre pour se fabriquer nos sandwiches.
On passe devant une banque, il s’y rend compte que sa carte bancaire est bloquée. Pas de raison spéciale, une erreur administrative ou un truc. Bref, il n’a que 15 euros en poche pour les jours qui suivent. Heureusement que ça marche de mon côté, et puis son pote Milouse débarque peut-être demain, on arrivera bien à l’entretenir à deux.
Pique nique vacancier.
Puis Mebeh extrait de son sac un long manche de bois, comme Mary Poppins sort un lampadaire de son sac à main, et me présente ce qu’il appelle « l’Anti Ours ».
Là où je n’ai emmené qu’une bombe lacrymogène, il s’est fabriqué une batte à clous évoluée pendant son stage en entreprise de charpente. C'est-à-dire qu’il a taillé la chute d’une planche pour qu’elle tienne dans une main. Et au bout, après avoir enlevé le fourreau de protection constitué d’une boite de conserve carrée, et d’un torchon enroulé, on découvre le côté contendant de la chose. Comment décrire ça ? Il y a de chaque côté de la planche une plaque de métal hérissée de piques coupants, recouvert d’un lubrifiant qui, parait-il, infecte toute plaie qui s’aventure alentour. Ça sert, dans son usage normal et sain, à relier les poutres entre elles.
Que le plus dur des artisans ose y mettre les mains, il pleurera sa mère trois jours et trois nuits durant. Sans exagérer.
Il range son arme de terroriste, et on se dirige vers le camping, que je lui décris, pour qu’il soit prêt.
Juste avant d’y arriver, on passe devant une grange/ boutique/pompe à essence/garage tenu par un gros monsieur qui nous voit discuter sur les chariots vendu en terrasse. Il nous fait rentrer dans sa caverne où trainent des bouts de mobylettes, des tronçonneuses de toutes tailles, des bidons remplis de tout, des trésors qui se négocient ici, de père en fils, depuis 1930.
Une musique calme plane dans son fourbi de bord de route mexicaine, il y fait frais, les sous pentes en bois du grenier apparent laissent circuler l’air. C’est sympathique, deux secondes.
Mebeh croule sous ses affaires, et aimerai bien faire une grosse sieste.
On traine pas. Zou, camping, sa tente rouge « 2 secondes » se déplie à toute seule côté de ma tente « 10 minutes ».

On fait quelques courses dans l’aprèm’, Mebeh exécute un tour de passe-passe au milieu du Champion de Rue, en faisant disparaitre un tire-bouchon sous son chapeau. Il faut dire que mon couteau-suisse a disparu, donc il a fallut aussi acheter un couteau.
Je soupçonne les gosses de me l’avoir torpillé.
Course légère pour éviter de s’alourdir : j’ai mis trois jours à me débarrasser de 6 kilos de bouffe, j’vais pas faire deux fois la même erreur.
Un peu de guitare, de sieste, de téléphone pour convaincre Milouse de venir. Je croyais que c’était prévu qu’il vienne sans faute, Mebeh lui baratine qu’on va rester au camping pour l’inciter à se pointer, mais on sait bien tous les deux qu’on va pas rester mille ans dans cette cage aux fauves.
Puis vient la soirée.
On la passe hors du camping, cherchant un coin de Rue où savourer, en toute quiétude, le foie gras qu’il a ramené, accompagné d’une bouteille de Muscat, et où l’on pourra faire de la musique sans déranger les apéros caravanesques.
On tourne longtemps avant d’être orienté vers un étang paisible. On s’assoit au bord, beaucoup de canards y caquettent. On s’apprête à diner dans cette ambiance champêtre baignée d’un Soleil rasant.
C’est alors que deux gros adolescents (décidément, tout le monde est gros) s’incrustent silencieusement dans le décor. Ils restent debout, derrière nous, avec une gigantesque épuisette à la main. Ils ne nous parlent pas, mais on sent qu’on dérange. Sans dialogue, on ramasse nos affaires et on déménage à l’autre bout de la mare. Cachés derrière une rangée de roseaux, on observe curieusement les indigènes. Ils envoient des bouts de pains aux canards qui s’approchent, qui s’approchent. Les deux garçons s’agenouillent et tandis que celui qui lance les miettes continue, l’autre enfonce discrètement son épuisette démesurée dans l’eau.
Et schlof, une scène extraterrestre se joue sous nos yeux. Il ne fait vraiment pas bon être un volatile dans cette région. D’un habile coup de main, ils emportent un des piafs qui se débat dans le filet. N’importe quoi, on est vraiment dans un autre monde. Ils repartent avec leur baluchon remuant sur l’épaule en se marrant.
Après avoir vu les technique de chasseurs, j’en conclus qu’on vient d’assister à la pêche d’un appât qui sera placé dans une cage. C’est vrai que je ne m’étais pas demandé comment ils pouvaient en garder vivants, avec leur fusil. J’ai ma réponse. Charmantes coutumes.
Une fois notre repas fini, on digère allongés au soleil qui se couche. Les lieux sont redevenus tranquilles, jusqu’à ce qu’une moto, suivie d’une bagnole, viennent nous rouler à un mètre de la tête, pour se garer un peu plus loin, dans cet endroit qui n’a rien d’une route.
Ça m’emmerde de me relever pour voir de quoi il s’agit, mais, les moteurs coupés, je perçois une discussion à 4 voix. Un des mecs fini par dire « on fait moitié/moitié ».
Et merde. Je sens que c’est pour notre gueule.
Comme un con, j’ai pris soin d’éparpiller, tout autour de nous, mon portefeuille, mon portable, mon appareil photo. La Cible Idéale. On a l’impression d’être deux canards. L’anti ours et la bombe lacrymo sont restés dans la tente, il nous reste une bouteille de Muscat moitié vide pour nous défendre. On décide de se barrer discrètement. Finalement, c’étaient juste des mecs qui parlaient de shit, et stationnaient pour fumer dans leur voiture.
Avec ces histoires de battes, la paranoïa commence à percer.
On repart en centre ville, on fini par trouver un terrain en friche pour jouer et finir notre bouteille sans encombre, avant de rentrer par crainte d’une heure de fermeture de notre résidence.
Je profite du calme de la fin de soirée pour aller me doucher dans les sanitaires vides, pendant que Mebeh téléphone, avec le portable branché à la borne derrière sa tente.
Confirmation, Milouse arrive bien demain.
On s’endort dans la sérénité animale d’un camping municipal.














3 commentaires:

Kaori a dit…

Delphine told me about your blog but I cannot read it at all!! omg...

Bernard Bui a dit…

trop cool ces dernières pages. surtout celle avec l'oiseau de grimault, le mélange des deux styles, elle en jette !

Tanpi a dit…

Kaori- It's nice to read you here! The text of my blog talk about a small travel I did this summer.I hope you can imagine with the pictures of beaches and hunters. It was a strange travel!

Ber- merci! Il faut dire que la berceuse du roi et l'oiseau en jette aussi. C'estjuste un détail du voyage, mais ça méritait bien un dessin.
Cherchez sur Youtube pour comprendre l'importance de chanter cette chanson dans la nuit d'un camping.

 
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