mercredi 2 septembre 2009

Troisième jour, se traîner jusqu'à Rue

Dimanche 2 août
6 heures du mat’, premiers klaxons…
C’est cette assemblée de fils de putes qui rembauche.
Ils y vont bien tôt, pour être bien certains d’être bien des fils de putes tout le long de la journée.
Je ne bouge pas d’un pouce, ça risquerai d’appuyer sur le spray lacrymogène que j’ai serré toute la nuit comme un doudou, et reprend le cours de ma nuit.
Jusqu’à ce qu’il fasse trop chaud.
J’ouvre les yeux, le soleil est en train de glisser sur une des parois, et la tente se transforme en fournaise. Vu la luminosité, je suis prêt à parier qu’on se rapproche des 11h.
J’allume mon téléphone : 9h.
Il est tôt, j’ai toute la journée pour atteindre la gare la plus proche et me barrer d’ici. Le réveil au son des cors et des taïauts n’a fait que me conforter dans cette optique. Paris, Paris, Paris, point.
Je sors à quatre pattes, j’ai eu froid toute la nuit dans mon duvet mouillé. Sous mes mains, l’herbe a déjà séché de toute rosée, et ce n’est pas seulement dans la tente que c’est le Mexique.
J’écoute les messages de la nuit en m’enlevant des couches d’habits.
Mebeh compte finalement arriver lundi, à savoir demain, à Rue, vers midi.
Je me prépare mon café dégueux, assis en tailleur, torse nu. Un petit mètre d’herbe me sépare de la route où des cyclistes filent par paquets, me saluant à leur passage.
Ils semblent tous suivre un même itinéraire organisé : ils déboulent du bout de la voie sans issus, et tournent à gauche après mon carrefour, pour finalement revenir sur leur pas et tourner au virage à gauche suivant en râlant sur le chemin mal indiqué.
Au bout d’un moment, je prends les devant et leur dit « C’est pas la première à gauche, c’est la suivante ».
Je suis resté plus de deux heures à manger, m’étirer, étaler à peu près l’ensemble de mon chargement sur l’herbe pour que ça sèche, fumer, à ranger mes affaires.
Et tout ça presqu’à poil, en ne récoltant que des sourires d’une centaine de cyclistes.
Aucune matinée n’aurait pu être un meilleur signe pour continuer l’aventure.
En y repensant, le sable, la chaleur, le manque d’eau, les nudistes, les marais, les canards, lièvres chasseurs, même la pluie… sans tout ça, j’me serais fait chier quand même.
Ce sont les péripéties qui rendent ce voyage intéressant.
Vu tout ce qui s’est passé en deux jours, j’imagine à peine pas ce qui m’attend pour deux semaines.
En tout cas, ça ne pourra pas être pire.
J’me sens comme les malades qui réclament l’euthanasie, et qui finalement, s’accommodent des soins palliatifs. J’me sens comme eux, à mon petit niveau, hein. Et moi, ma morphine, c’est le soleil, le coup de fil de Mebeh, et la perspective de savoir que Rue n’est qu’à une petite dizaine de km.
Soit 2 ou 3 heures de marche.
Seul bémol: les jambes. Lourdes. Et une douleur est apparue au niveau du tendon du pied gauche.
Pieds nus, ça va, mais les chaussures qui me serrent aux chevilles me font boiter.
Ça va me ralentir.
11h et quelques, le sèche-linge à fait son œuvre, même le sac de couchage est sec. J’ai tout remballé, je me suis rhabillé décemment, j’enfile les bretelles, et hisse mon cauchemardesque boulet sur le dos. La réserve de bouffe tend à baisser, j’ai l’impression de le sentir. Je quitte mon nid de clochard pour la route.
J’essaye d’abord de longer la départementale sur le trottoir d’herbe, qui devient parfois un fossé d’orties, mais je décide finalement de marcher sur le bitume, plus stable. Ça soulage ma cheville folle. J’empiète sur le territoire des bagnoles, ils n’auront qu’à faire comme si j’étais un vélo, et me doubler avec précaution.
Il me reste les ¾ d’une bouteille, et deux autres sont remplies de l’eau du port, pas potable, à utiliser en cas extrême.
Passé midi, je fais une pause sur un rond-point. J’appelle mon père, il est justement sur internet, en train de regarder mon itinéraire. Il me propose de le rappeler quand j’arrive à Rue, d’ici là, il partira à la rechercher virtuelle d’un camping où je pourrais me reposer en attendant Mebeh. Il me laisse en faisant plein de blagues comme quoi il fait le copilote, et me dit, d’une voix de GPS, « vous devez aller tout droit ». C’est l’étape simple aujourd’hui.
Nouveau soin palliatif ? Le Camping ? Je n’avais même pas envisagé l’option. Tournure luxueuse. Mais dans l’état où je suis, soit je me pose pour au moins 24 heure, soit j’abandonne.
Je continue donc mon cheminement calmement, sans trop paniquer pour l’eau, Rue finira bien par se pointer, mais l’environnement n’a rien d’agréable.
On est à une dizaine de km de la côte, mais on pourrait être n’importe où dans la campagne française triste. Le genre d’endroit où personne n’a rien à foutre hors de sa bagnole. C’est bien pour ça qu’un piéton n’y a pas sa place.
Et lorsque la route à double sens se transforme en voies doubles séparées par un terre plein, je commence à me demander si je ne vais pas finir sur une autoroute.
Les véhicules frôlent mon sac obèse, mes pas sont mal assurés, je marche, on dirait Obélix. Parfois, pour délester mes épaules, j’attrape mon sac comme il porte ses menhirs.
J’pourrais faire du stop, mais il faudrait parler, ça m’emmerde. Et vu la gueule des panneaux criblés de plombs, je vois par avance celle des conducteurs.
Ça n’avance pas, et cette route qui va tout droit, avec ses peupliers, et ses buissons bêtes partout. Y a rien à voir ici ! A bout de force, je m’affale sur un bas côté et m’octroie une méga pause sans fin.
J’fini la bouteille, je filme un crapaud dans l’herbe, j’m’occupe.
Au loin, une grue. J’me relève, motivé par la prochaine pause que je compte prendre au pied de cette grue. Si y a grue, y a chantier. Si y a chantier, y a village. Village, eau, c’est facile.
Ouai, encore qu’un dimanche du mois d’août, va falloir être un peu sorcier pour s’en procurer.
La route se perd dans un virage, et voilà, je suis à Rue. C’était pas compliqué. J’aurai attendu 5 minutes pour faire ma pause, et j’y serai depuis longtemps.
Dès l’entrée du village, derrière le Champion fermé, bar ouvert. Il doit être 14 et quelques. J’irai bien boire un truc frais, Maxence m’a dit qu’il m’offrait une bière par procuration.
Pas le moment, j’vais m’avancer, trouver un camping, et on verra après. J’ai la tête qui tourne, il doit faire pas loin de mille degrés dans les rues de Rue. Quel nom à la con, en plus. Ha, plan !
Ha un camping, putain, j’suis passé devant !? J’y retourne, j’ai la tête qui tourne.
La gare est à l’opposé, c’est repéré pour demain.
J’vais au « camping des peupliers », que me confirme mon père. Un truc envahi de mobil homes, de caravanes, de gens gros aux torses nus, qui passent leur temps à s’insulter, et gosses blonds qui braillent sur leurs vélos.
Au milieu de tout ce bordel, un bâtiment dur : les sanitaires.
Je cherche le patron, « il ne revient pas avant demain, z’avez qu’à vous installer lô derrière, et vous réglerez plus tard. » m’explique un habitué.
« Lô derrière », sous le vasistas des chiottes, coincé contre une haie, sous un arbre. A gauche, la table de ping pong, lieu de réunion des ados, à droite, les tables de pique nique où les plus jeunes jouent à chat perché.
Au moins, j’ai accès à une borne électrique pour recharger mon portable, et puis pour le prix indiqué à l’entrée 1euro30 la nuit en tente, j’vais pas me plaindre.
J’installe la mienne, enfourne mes affaires, ferme bien : une 20aine de gosses passe son temps à tourner autour des sanitaires et près de ma tente. Je sens que si je laisse trainer quelque chose, ils vont jouer avec, je ne vais jamais le retrouver.
Je ne garde que la serviette, et poffffffffchhhh, une douche. Chaude. La première en trois jours. Un bonheur. Camping style : t’as un seul crochet pour garder tes affaires au sec, faut tout y accrocher dans un ordre méthodique de la serviette aux chaussures.
Les toilettes fuient et puent. La chaleur n’arrange rien. C’est l’heure de l’apéro, les insultent volent, ça rigole fort aussi. Les parents sont bourrés, les gosses font n’importe quoi, fument et jurent comme leurs vieux.
Et moi, au milieu de la cour des miracles, allongé dans ma tente, propre, je savoure le nouveau cap qui s’ouvre dans mon aventure, en étirant mes jambes courbaturées. Je ne vais rien foutre, me laisser flotter en attendant demain midi, dessiner un peu, surtout ne pas marcher.
Je ne peux plus marcher.








3 commentaires:

max a dit…

"Et vu la gueule des panneaux criblés de plombs, je vois par avance celle des conducteurs."

j'aime bien cette phrase !

celine a dit…

salut maxime ouah cool ton holiday' s roadtrip! merde! bon ct courageux en tout cas! par contre une question me taraude, tu savais, enfin, c est de notoriété publique que le nord c es t pourri alors POURQUOI?... bref en tout cas tu le racontes très bien, on le vit!! alors ben j attends la suite hein! bises a bientot
celine

Tanpi a dit…

max- merci. ouais, moi aussi j'l'aime bien, j'en étais content, j'l'ai mise deux fois!
céline- salut céline! je sais, le nord c'est pourri, mais jpensais pas que...j'me suis dit que de toute façon y a des trou du culs partout...mais c'est vrai que là, ils en ont des forts... bon, bref, le but, c'était aussi d'être à la mer pour pas cher, et de pouvoir rentrer facilement en cas de gros problème. Et puis tant qu'il faisait beau, que ce soit le nord ou pas...
à bientôt!

 
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