jeudi 20 août 2009

31 juillet. Départ d'Etaples jusqu'à Nulle part.









Départ le vendredi 31 juillet, à 12h30, de la gare d’ Etaples-Le Touquet, dans le Pas-De-Calais.

J’aurai pu démarrer de plus haut, mais ça faisait plus cher en train, et puis j’ai rendez vous à Rue dimanche, c’est à environ 35 kilomètres au sud. J’me vois mal faire plus, en 3 jours.
Je suis parti sans montre, sans boussole, et avec une carte routière de 2007, à l’échelle 1/ 1 000 000, c'est-à-dire qu’ 1 mm = 1 km. Donc tout ce qui est village, c’est gommé par Michelin.
Les trois erreurs du début sont posées.
A cela, j’ajoute que mon sac pèse 23 kg, alors qu’il ne devrait idéalement pas dépasser 10% de mon propre poids.
Je pèse 74 kg, mes chevilles en portent, au total, près d’une centaine.
Il fait très beau, très chaud, et je n’ai pas trouvé de superette, à la Gare du Nord, pour acheter trois bouteilles d’eau. Armé d’une bouteille de 75 cl d’un pauvre distributeur, je sors de la gare.
Je ne sais pas où aller, technique Homer Simpson, je prends la rue qui descend.
Où est la mer, bordel ?
La gare s’appelle Etaples-Le Touquet.
Le Touquet, station balnéaire, oui ou non ?
Elle est où l’eau ?
En bas de la rue, un plan de la ville d’Etaples.
Evidemment, pour Le Touquet, fallait prendre l’autre sens.
Mais il n’y a marqué que « Direction Le Touquet ». Mauvais signe.
Je remonte mon chemin, déboule en centre-ville, un panneau : Le Touquet-6 km .
« Boh, 6 km, ça va. Je déjeunerai là-bas », j’me dis.
Oui, mais ça fait déjà une bonne demi-heure que je tourne, le dos lourd, les sangles du sac qui pressent mes hanches et bloquent mon souffle.
Je commence à percevoir l’ampleur du voyage.
J’allume mon portable pour appeler Maxence. Je comptais lui faire part de mes premiers pas du périple depuis Le Touquet, mais finalement, je suis déjà dedans. Et chacun d’eux me provoque rapidement quelques douleurs… Je vais m’habituer, je vais m’habituer… tu parles.
Je traverse une forêt sur un trottoir, et malgré les pauses, je m’habitue à que dalle.
Je me tape un détour à cause d’un panneau « supermarché Champion, à droite ». Je ne l’ai jamais trouvé, j’ai juste gaspillé de l’énergie. Ils m’ont fait super marcher.
Chaque mètre est un calvaire, je me mords les doigts du moindre détour.
Très vite, je n’en peux plus, un banc, du pâté, des biscottes, une salade niçoise, tout est gobé.
Je repars, et voilà Le Touquet.
Enfin juste le panneau, quelques hôtels, quelques résidences chics, et des passants très parisiens.
Moi, avec ma maison transpirante sur le dos, dès que je m’arrête, les marques des bretelles qui s’impriment en sueur sur mon T-shirt m’offrent un périmètre de sécurité face aux gens qui sont de plus en plus nombreux.
Il faut dire que j’arrive dans la rue principale, celle qui mène à la plage.
J’en scrute chaque recoin, pour me dégotter une supérette, mais à part les restaus, les bars, et les putains de boutiques de luxe qui s’étalent, il n’y a rien.
Qui a besoin d’un architecte, ou d’un chocolatier, en vacances bordel ?!
J’échoue sur le bord de plage et là, je souffre ma race. J’ai mis deux heures à parcourir 6 km…
Soleil, manque d’eau, poids, je fonds sur le goudron de la promenade du bord de mer, face à une piscine aux toboggans remplis de gniards qui braillent. Je pourrais refroidir ma pomme dans l’eau salée, mais j’en suis séparé par plus de 100 mètres de sable.
Marée basse de merde.
Je reste assis, avec mon pantalon, mes lunettes de soleil improbables qui sortent des affaires de jeunesse de mon père, ma casquette délavée. Même si j’ai chaud, j’aime mieux éviter de commencer avec un coup de soleil.
Instant réflexion : ma route, c’est la plage. Toujours vers le sud.
Sur la carte, cette plage, qui s’étend jusqu’à Berck, mesure la taille d’un ongle.
Environ 16 kilomètres ?
Il faut vraiment aimer se faire du mal pour s’infliger un calvaire pareil.
Pour commencer, il me faut à boire. Ce serait du suicide de s’aventurer dans un tel désert sans une goutte d’eau potable.
Je retourne dans les rues commerçantes, suivre le conseil prodigué par mon père le matin-même, au moment de ma déposer à la gare de Versailles: « Quand t’en as plein les pieds, c’est agréable d’aller boire un coup ». Une bière, un grand verre d’eau, sur une terrasse vide de 15h30. Rien n’est frais, mais c’est un bonheur.
J’appelle Maxence encore une fois, Maxence, j’ai fait Strasbourg-Paris, et Nice-Arles, à vélo, avec lui. Lui seul peut comprendre le genre de difficultés que je traverser.
Rien à foutre d’économiser ma batterie, le voyage me semble déjà compromis.
Finalement, le patron du bar m’indique un mini supermarché caché, j’y achète trois bouteilles, j’en siffle une sur l’instant, et rajoute les trois kilos restant sur ma pièce montée dorsale.
Au point où j’en suis, je ne peux plus reculer.
16 h 00 sur l’horloge du Club Mickey, la plage s’ouvre à moi.
A l’entrée, le sable est sec, j’essaye de piquer les traces de pas déjà creusées, mais rien à faire, les grains s’écartent sous mes pieds de gros, c’est casse gueule.
Au milieu des baigneurs quasi nus, j’ai l’air d’un spationaute avec mon équipement boursoufflé.
Apollo 11 , 1969 mais avec la gravité inversée.
Sur la Lune, il parait que 70 kilos n’en pèsent plus que 10. J’envie ce connard d’Armstrong jusqu’à ce que j’atteigne le sable humide.
Làààà, là je maitrise, là je trace.
Je laisse de belles marques, et je double les mamies qui combattent leur arthrose. Le peu de gens que je croise font de petits allers-retours, quelques serviettes se font bronzer loin de la foule de la ville. Je reste concentré derrière mes lunettes, je regarde le sable : l’horizon immobile est démoralisant. En tous cas, mon passage ne laisse personne indifférent.
Putain, faut dire que j’en impose avec ma démarche de Groucho Marx, penché en avant. J’envoie mes jambes au loin à chaque foulée, marquée par le tintement des couverts de la popote qui se balance au dos du sac. Les bras repliés agrippent les bretelles à pleines mains, je tire dessus pour délester un peu les épaules.
Au bout d’un moment, même en enlevant ma carapace, mon corps adopte instinctivement cette position courbée. Sans le contrepoids du sac, j’avance en chute libre.
Ça m’a fait rire la première fois, mais en y pensant bien, c’est pas vraiment drôle.
Un rythme s’installe. J’avance, je m’arrête, je bois, j’avance, je m’arrête, je bois. Sans aucune conscience du temps qui passe, ni des distances parcourues.
La mer basse, sur la droite, le sable en face, et un mur de dunes couvertes d’herbes hautes sur ma droite, c’est mon chemin jusqu’à perte de vue.
Je vois des bâtiments au loin. La carte ne mentionne pas de village. Dans ma tête, c’est Berck.
Pour de vrai, Berck, je n’y suis arrivé que 24 heures plus tard…
Vers 18 heures, grand coup de barre. J’attaque ma 5ème heure de marche de la journée, le sable qui n’est pas humide de manière rectiligne m’oblige à avancer en épuisants zigzags. Le soleil, vers la mer, chauffe encore tellement.
Je remonte la plage dans sa largeur vers les dunes, hautes de 10 mètres, pour me poser au pied.
Il n’y plus personne à 100 mètres alentour, je m’autorise à pisser à l’air libre.
Dans ma tête, c’est juste une pause, mais le fait d’enlever mes chaussures en m’allongeant dans le sable vierge, ça me suffit pour m’endormir.
Combien de temps ? Aucune idée, je me relève avec la désagréable sensation qu’on m’a retiré les omoplates, ou qu'un train m'est passé sur les épaules, ça dépend de comment je me tiens.
Ayayay premières courbatures après une sieste, j’imagine mal après une nuit entière…
Le soleil rose m’annonce qu’il est vraiment l’heure de bouffer.
Gaz, popote, je vais au plus simple par manque d’eau : pas de pâtes. Juste de la bolo, du maïs, pain, pâtés, un grany comme j’en ai becté toute la journée.
Et puis j’attends que plus personne ne passe pour aller planter la tente là-haut, dans la dune.
Les herbes au bout piquant, repliées, vont former un matelas bien gras. J’ai repéré l’endroit, pas un village ni même un route en vue, un désert bien tranquille.
Pour patienter, je descends nettoyer mon écuelle dans l’eau montante. Je suis penché sur l’eau, les pieds au frais lorsqu’une cavalière aux longs cheveux me passe devant, au pas, les sabots du cheval éclaboussant le soleil. Pas un mot, tout est normal.
Je remonte, endosse mon barda en rêvant d’avoir un cheval, ne serait-ce que pour bouffer. J’escalade le sable immaculé, glisse dans toute cette neige, m’accroche aux touffes d’herbe et me hisse sur mon piédestal. Le Touquet, au loin à droite. A gauche, pareil, sauf que je sais pas exactement ce que c’est. A gauche, c’est demain.
Je monte la toile, les armatures enfoncées dans le vide du sable, l’entrée orientée vers la mer, histoire d’apprécier les derniers rayons. Je domine tout un territoire abandonné qui commence à s'assombrir, et je me sens autant en sécurité qu'un Marsupilami qui se pieute.
J’allonge ma maison portative d’un côté de mon refuge, mon corps de l’autre, à nous deux on cale l’ensemble au sol, la nuit s’annonce bonne.

C’était sans compter sur le vent marin qui fait claquer le polyester sans interruption, et m’a donné l’impression de dormir dans un sac plastique. Et le bruit des vagues qui s’est métamorphosé en vrombissement autoroutier. Et puis j’ai fait des rêves bizarres aussi, avec des grands trous qui s’ouvraient sur la plage et engouffrait tout, ma bombe lacrymo n’était d’aucun secours.
J’ai fini par dormir comme une bête, sans personne pour m’emmerder.
C’est dans la nuit que j’ai vraiment perçu que j’étais seul.
Et c’était pas mal.

4 commentaires:

L E A a dit…

tu t'es reconverti "fuck les blogs bd, vive les blogs roman" ??
:b

Anonyme a dit…

Magne-toi de faire la suite! Même si tu dois passer une nuit blanche! Maxence

muriel a dit…

ça doit pas être l'effet voulu, mais ça donne envie de faire pareil.

Anonyme a dit…

ouah 23 kg, mais comment t'as fait ton sac ! en plus la carte michelin au 1/1000000...

haaaaa marcher sur les chemins de la liberté...

 
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